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Un pour mille
4 octobre 2011

Incendie du tunnel du Mont-Blanc, leçon apprise ?

mbapres

Du 24 au 26 Mars 1999, un semi-remorque frigorifique belge ne transportant pourtant que du très anodin (margarine et farine), prenait feu à 7km (sur 11.6), à l’intérieur de ce tunnel monotube dans la direction France-Italie, l’incendie qui s’en suivra impliquant 35 poids lourds et véhicules de tourisme,  durera quelques 53 heures en tout, pour un bilan terrible de 39 victimes mortes asphyxiées et des dégâts matériels considérables avec à la clé, nécessité de  fermer le tunnel pendant 3 ans aux voitures, 4 ans aux poids lourds.

Il y a bien sûr eu procès pour homicide involontaire et lors dudit, il a été établi que procédures d’urgence comme mesures de sécurité n’avaient pas été respectées, avec le cortège d’enseignements précieux pour le futur que l’on est en droit d’attendre devant pareil constat mais pas seulement, loin s’en faut: 

Le titre de ce billet vient d’une conviction forte que confirment des faits, voulant que chacune des 39 victimes a d’ores et déjà épargné des dizaines d’autres vies humaines et continuera à le faire partout dans le monde et je tenais à en témoigner auprès des familles.

Wikipédia donne la chronique du cauchemar :

  • 10 h 46 : Le camion belge qui a pris feu passe le péage à l'entrée du tunnel.
  • 10 h 52 : Les opacimètres des abris 14 et 18, mesurant la transparence de l’air, donnent une alerte de forte opacité. Le régulateur note qu'il voit les alarmes à 10 h 53. C’est l’heure où l'on aperçoit également les premières fumées sur les écrans vidéo.
  • 10 h 53 : Le conducteur du camion, constatant que son véhicule dégage de la fumée, ralentit et s’arrête à la niche 21.
  • 10 h 54 : Un usager appelle la salle de régulation italienne depuis l'abri 22, l’alerte est donnée par les postes de surveillance français et italien.
  • 10 h 55 : Le péage français est fermé et la signalisation dans le sens France-Italie passe au rouge.
  • 10 h 56 : Le péage italien est à son tour fermé.

Je m’arrête un instant, sur deux points :

  1. Les deux péages d’accès au tunnel ne sont fermés que 3 respectivement 4 minutes après l’alerte de forte opacité et ce, seulement après l’appel d’un usager à 10h54. En clair, les deux opérateurs n’ont eu aucun moyen de confirmer immédiatement qu’il s’agissait bien d’un incendie et non pas d’une opacité passagère due au mauvais entretien d’un véhicule. La phrase « premières fumées sur les écrans vidéo » sonnant vraiment creux, ou il n’y avait pas assez de caméras pour couvrir précisément la zone du camion, ou l’opacité était déjà telle qu’un visuel ne permettait plus de trancher ou encore ces fumées d’une zone attenante ne permettaient toujours pas de confirmer un incendie à côté.

 

  1. Bien plus puissants que de simples opacimètres, il existe des systèmes DAI (détection automatique d’incidents), basés sur l’analyse automatique des images transmises par les caméras et capables de détecter aussi bien un véhicule à contre-sens, qu’un débris sur la voie, un véhicule en ralentissement anormal ou à l’arrêt, un accident et bien sûr un début d’incendie et/ou une perte de visibilité. Si la forte opacité a été signalée à 10h52 c’est que le début d’incendie devait se situer bien avant, mettons 10h49 à mi-chemin entre l’entrée à 10h46 et l’alarme forte opacité à 10h52. Degrave le malheureux conducteur du camion au nom prédestiné, ne devait s’en rendre compte qu’1 mn plus tard.

Ces 3 précieuses minutes s’ajoutant aux 3 respectivement 4 du point 1, les accès aux tunnels auraient pu être fermés 6 respectivement 7 minutes plus tôt ce qui est une éternité lorsqu’on sait les temps extrêmement réduits durant lesquels :

L’exposition à certaines concentrations de monoxyde de carbone devient létale.

L’augmentation de la température de la zone à évacuer devient très vite handicapante pour les personnes en auto-évacuation,

En l’absence de ventilation de désenfumage dans pareil cas de trafic bidirectionnel, la stratification et l’accumulation des fumées qui empêche tout simplement de voir et peut ainsi :

Dans le meilleur des cas, réduire la vitesse d’évacuation d’une personne vers les abris ou les issues de secours d’1m/s environ (420 mètres parcourus en direction de l’issue en 7 mn), à  30 cm par seconde voire moins (126 m maximum).

Dans le pire des cas entourée de fumées, amener la personne à se tromper et à se diriger dans un premier temps, vers le foyer de l’incendie au lieu d’essayer de s’en éloigner.

 

Sans oublier que tous ces véhicules entrés dans le tunnel durant ces 7 très longues minutes devaient être  plus tard autant d’obstacles incontournables pour les véhicules de secours et autant de carburant pour faire durer le brasier.

  • 10 h 57 : L'alarme provenant de l'abri 21 (actionnée par un bouton coup de poing) est déclenchée, un fourgon-pompe-tonne-léger de l’opérateur français avec 4 hommes suivi d'un véhicule premier secours avec 2 hommes pénètre dans le tunnel. Bloqué au niveau de l'abri 17, le personnel de ces engins reçoit l’ordre de se réfugier dans ce même abri.
  • 10 h 58 : Une alarme indique qu'un extincteur est décroché de l'abri 21. Le centre de traitement des appels (CTA) est prévenu qu'un incendie se produit dans le tunnel.

6 mn après l’alerte opacité, le mot incendie est enfin lâché. C’est inacceptable de nos jours, la confirmation de l’incendie ne doit pas prendre plus de 2 mn.

  • 11 h 02 : Les premiers engins de secours dont un fourgon-pompe-tonne-grande-puissance (FPTGP) du centre de secours principal (CSP) de Chamonix partent pour le tunnel.
  • 11 h 10 : Arrivée des premiers pompiers à l'entrée du tunnel.
  • 11 h 11 : Le fourgon-pompe-tonne-grande-puissance est arrêté à 300 m de l'entrée au niveau de l'abri numéro 1 par un agent français d'ATMB qui prévient ces pompiers que des appareils respiratoires isolants sont nécessaires. En raison des fumées, le FPTGP est obligé de s'arrêter aux environs de l'abri 12 et le personnel de ce fourgon se réfugie dans la niche incendie de ce garage.

Les secours sont là, mais ne peuvent pas atteindre l’incendie pour le combattre ni les personnes en danger pour les aider à évacuer et ils se mettent très vite en danger eux-mêmes.

  • 11 h 20 : L'équipage FPTGP déclenche l'alarme coup de poing et tente d’utiliser vainement le téléphone d’urgence.

Un équipement (poste d’appel d’urgence) qui ne fait pas partie de ceux détruits par l’incendie, est défaillant le jour où on en a besoin. Mauvaise qualité ? Normes insuffisantes ? Problème d’entretien ? Ou alors sont-ce les câbles plus loin qui n’étaient pas suffisamment protégés contre le feu qui auraient été endommagés ? Le moindre de ces aspects est aujourd’hui passé au crible à toutes les étapes d’un projet.

  • 11 h 32 : Le fourgon-pompe-tonne-léger de Chamonix entre (avec 5 hommes) dans le tunnel avec pour mission de secourir les réfugiés de l'abri 12 mais il doit s'arrêter au niveau de refuge 5 (à 4,8 km du foyer). Trois hommes tentent quand même de progresser.

A 4.8 kilomètres du foyer (Quarante huit (48) stades de football mis bout à bout), les secours ne peuvent plus se rapprocher ni retourner sur leurs pas, ils reçoivent l’ordre d’entrer dans un refuge et d’y rester.  Pourquoi est-ce que les fumées se sont stratifiées sur une si longue distance ?.

Une explication s’impose : Dans un tunnel bitube, la ventilation de désenfumage est dimensionnée de sorte à maintenir une vitesse de 4m/s y compris lors de très puissants incendies (généralement jusqu’à 100 MW).

Les fumées sont éjectées dans le sens de la circulation, les véhicules en aval sont censés ne pas s’arrêter et sortir du tunnel et les usagers bloqués en amont peuvent évacuer dans des conditions acceptables. De plus les véhicules de secours peuvent se rapprocher par l’amont et atteindre l’incendie pour le combattre.

Dans un monotube (à trafic bidirectionnel), la ventilation de désenfumage ne peut être mise en marche que si les personnes ont été déjà évacuées et ne risquent plus de recevoir les fumées éjectées d’où le phénomène de stratification.

  • 12 h 30 : Devant la gravité de la situation et avant même que le plan de secours spécialisé et le plan rouge ne soient déclenchés, le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) envoie des engins de renfort (véhicules de secours, ambulances, hélicoptères, ...).
  • 13 h 04 : Le plan de secours spécialisé est déclenché.
  • 13 h 35 : Le plan rouge est déclenché.
  • 16 h : Les sapeurs-pompiers bloqués dans les refuges 12 et 5 sont secourus et sortis du tunnel.

Après la catastrophe,

  1. Actes concrets en faveur de la sécurité de ce même tunnel.

Outre les réparations (réfection de la voûte endommagée notamment), ont été construits :

  • des niches de sécurité tous les 100 mètres,
  • Un poste de secours au centre du tunnel, avec un véhicule lourd et plusieurs pompiers présents en permanence dans ce local,

La circulaire de 2000-63 que nous verrons plus loin, a longuement traité de l’impossibilité pour les secours d’atteindre l’incendie. Dans des tunnels neufs, il y a des moyens propres de lutte et des poteaux incendie tous les 200 mètres au droit de l’action. Même si les véhicules ne peuvent plus accéder, les moyens sont déjà in-situ et des personnels protégés peuvent intervenir et les utiliser des deux côtés d’un incendie.

  • 37 abris pressurisés reliés à une galerie d'évacuation indépendante (sous la chaussée),

Cette mesure phare également nous la devons à la circulaire 2000-63 voir plus loin dans le cas des monotubes.

  • 120 caméras de surveillance (sic)
  • 3860 capteurs thermiques,
  • Un poste de contrôle commande unique (côté français, avec un deuxième côté italien en secours seulement).

Avec des règles d’exploitation différentes :

  • Un seul opérateur franco-italien (unification des deux sociétés exploitantes), un seul chef d’orchestre ça tombait sous le sens.
  • interdiction des camions transportant des matières dangereuses et des véhicules polluants, limitations de vitesse strictes, intervalles entre véhicules (150 m en circulation, 100 m à l'arrêt).
  1. Mais il y a surtout eu pour tous les tunnels… d’Europe, d’Afrique francophone et en similaire, de partout ailleurs dans le monde, deux textes désormais incontournables. Que j’ai appris à parfaitement connaître, parce qu’ils ont fondamentalement changé le projet sur lequel je travaille depuis deux ans et demi, parce qu’ils en ont rendu caduques les cahiers des clauses techniques particulières, refondu les contrats, bouleversé les chaines de compétence, changé toutes les priorités en termes de sécurité.
  2. L’annexe II, de la CIRCULAIRE INTERMINISTERIELLE N° 2000- 63 DU 25 AOUT 2000 relative à la sécurité dans les tunnels du réseau routier national

http://www.vie-publique.fr/documents-vp/circulaire_25-08-2000-1.pdf

Et dans l’introduction de laquelle vous pourriez lire :

… « Dans le cadre de ce dispositif, le comité d’évaluation constitué après l’incendie du tunnel du Mont-Blanc pour procéder au diagnostic de sécurité des tunnels routiers d’une longueur supérieure à un kilomètre se voit confier, par extension de son champ de compétences, les attributions définies en annexe n°1. Ses membres sont désignés conjointement par le directeur des routes et par le directeur de la défense et de la sécurité civiles, et son secrétariat est assuré par le centre d’étude des tunnels (CETU). »

 

  1. La DIRECTIVE 2004/54/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 29 avril 2004 concernant les exigences de sécurité minimales applicables aux tunnels du réseau routier transeuropéen

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:167:0039:0091:FR:PDF

Et dans l’introduction de laquelle vous pourriez lire :

« 7) Des accidents survenus récemment dans des tunnels soulignent l’importance de ces ouvrages en termes humains, économiques et culturels.»

 

Les impacts des deux textes sur les dispositions de type génie civil, tels les devers et les caniveaux à fente continue pour récupérer un éventuel déversement d’hydrocarbure sur la chaussée, tels les trottoirs franchissables, les galeries inter-tubes tous les 400m et tous les 800 m des galeries permettant le passage de véhicules, sont nombreux et l’on se reportera pour plus de détail aux deux textes et au site du CETU donné ci-après,

 

Les impacts exhaustifs des deux textes sur les équipements également seraient trop longs à lister alors juste quelques exemples :

 

Un réseau incendie propre avec des réservoirs de 160m³ et des niches incendie (avec poteau-bouche) tous les 200 m

 

Des niches de sécurité tous les 150 m avec prises pompier, poste d’appel d’urgence et extincteurs

 

Des portes coupe-feu devant résister à un incendie type hydrocarbure maximal durant deux heures,

 

Hors de question d’installer désormais un ventilateur accélérateur ou quoi que ce soit de lourd risquant de s’effondrer sur les secours depuis la voute, s’il n’est pas certifié résistant à une température de 400°C durant 2 h également,

 

Une détection thermométrique par câble optique tout le long du tunnel partagé en zones de détection,

 

Des plots de jalonnement et des panneaux d’évacuation en piédroit, censés guider les personnes vers les issues de secours.

 

Plusieurs niveaux d’éclairage de sécurité, de base et de renforcement,

 

Une alimentation électrique secourue par groupe électrogènes et maintenue par alimentation statique in-interruptible (communément appelés onduleurs), pour les équipements de sécurité.

 

Un système DAI basé sur l’analyse des images renvoyées par les caméras fixes de sorte que :

 

Une opacité détectée, un véhicule en feu, une élévation anormale de la température d’une zone, une détection de taux anormaux de CO/NO, un signalé de décroché d’extincteur en niche  doivent désormais permettre de

 

  • Donner l’alerte aux secours extérieurs,
  • Passer l’éclairage en renforcement maximal,
  • Fermer le tube incendié à autant de véhicules « nouveaux arrivants vers l’incendie » que possible,
  • Fermer le tube sain pour faciliter l’arrivée des véhicules de secours mais également en préparation de l’arrivée des personnes évacuées via les galeries inter-tube
  • Déclencher des scénarios de ventilation maximale de désenfumage (cas des tubes unidirectionnels), après inhibition des protections thermales et de vibration des accélérateurs,
  • Mettre en alerte les réseaux propres de lutte anti-incendie (inhiber les protections des pompes par exemple)
  • Mettre en surpression les galeries inter-tubes quand il y en a, ou les abris ailleurs en préparation de l’arrivée des personnes évacuées
  • Déclencher des scénarios de signalisation de feux stops, clignotants et d’information par panneaux à message variable,

Le tout par confirmation de l’opérateur d’un scénario incendie au travers d’un clic de souris.

 

Au-delà de ces deux textes majeurs, un autre acteur est devenu incontournable dans le métier tunnel depuis les études-conception aux programmes communs de formations aux métiers tunnels en passant par les équipements après l’ensemble des dispositions du génie civil :

Le très hautement compétent CETU ou Centre d’études des tunnels (un organisme gouvernemental et oui les français peuvent en être fiers)

http://www.cetu.equipement.gouv.fr/

Tout y est, des dossiers pilotes complets sur le génie-civil, la ventilation, l’éclairage etc, des dossiers décortiquant la  sécurité des personnes de A à Z, des études sur le comportement au feu des structures comme des équipements, des notes d’information et des « retours » d’information de haut niveau, des études de comportement d’usagers, des guides de toutes sortes, des recommandations et tant et tant d’autres perles toutes plus utiles les unes que les autres

Et puis au détour d’une des pages, ô surprise, il est encore question du tunnel du Mont-Blanc :

« Un des enseignements tirés de l’incendie du tunnel du Mont-Blanc a été qu’il fallait absolument, lorsqu’un sinistre survenait, pouvoir empêcher, au plus tôt, les usagers de rentrer dans l’ouvrage.

En effet un dispositif interdisant efficacement et rapidement l’entrée dans un tunnel en cas d’événement (accident, incendie, etc.) en provoquant un arrêt de la circulation, devrait permettre de réduire le nombre des personnes exposées. Dans tous les cas, il est préférable de reporter les accumulations de véhicules et les risques de sur-accident à l’air libre.»

http://www.cetu.equipement.gouv.fr/dispositifs-de-fermeture-a367.html

Parmi les 39 victimes, Pierlucio Tinazzi, un motard de 37 ans dont le travail consistait chez l’opérateur italien, à faire des allers et retours dans le tunnel sur sa motocyclette pour veiller à la fluidité du trafic, guider les dépanneuses, dépanner lui-même des usagers etc. Ce jour là, il  sauvera … Huit (8) personnes du brasier en les ramenant sur sa moto, avant de périr lui-même. No comment… Si ce n’est que j’ignore s’il avait des enfants mais si c’est le cas, j’aimerais tant qu’ils sachent qu’il ne s’est jamais arrêté à 8 vies humaines...

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Commentaires
S
Salut, en un mot : superbe.<br /> <br /> Tu fais un beau métier dis donc, et si j'ai bien compris, encore un peu plus désormais :-)
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E
Cher Wald,<br /> Non je n’ai pas de talent, je le saurais sinon :-) par contre j’ai la chance de connaître des messieurs qui maîtrisent à merveille l’art de la parole amène…<br /> Merci
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L
Bonsoir Jojo.<br /> Alors on fait dans le technicoimpartial?<br /> Quel talent
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